Je réalise qu’un 4è voire un 5è acte auraient pu voir le jour tant le sujet est fécond, intéressant et stimule la réflexion. De plus reconnaissance est un mot qui fait vibrer agréablement mes cordes affectives mais… les meilleures choses ont une fin (les pires aussi d’ailleurs et c’est bigrement rassurant !). Je vais donc passer en revue, pour ce dernier acte, ce que doivent être des signes de reconnaissance constructifs selon les travaux de Claude Steiner (Photo de l’homme barbu à côté d’Éric Berne). Je rappelle que Claude Steiner a été le disciple de ce dernier (Cf. mon billet 1er acte).
On ne le répétera jamais assez : notre éducation, notre entourage, notre environnement… jouent un rôle déterminant sur notre vie d’adulte. Nous possédons toutes et tous un “cadre de référence” bien ancré dans notre inconscient et ce cadre recouvre l’ensemble des filtres à travers lesquels nous regardons et percevons la réalité. Ce “filtre à strokes” peut alors nous conduire à “jouer inconsciemment un rôle de déformation, d’acceptation, de refus…” et c’est ainsi que les travaux de Claude Steiner prennent une dimension significative. Souvenez-vous de mon 1er acte sur la rareté et le contrôle : ces filtres peuvent nous laisser penser qu’il y a pénurie de signes et que ceux-ci doivent être dispensés avec parcimonie.
À cet égard Claude Steiner a répertorié 5 règles qui peuvent être ancrées en nous et influent sur notre vie d’adulte :
Parent / enfant | Enfant devenu adulte assistant(e) | |
Ne donne pas | Tu dois être parfait(e) : bien travailler et obéir. C’est tout. | Pourquoi féliciter mon manager pour la signature de ce nouveau contrat ? Il est payé pour ça après tout ! |
Ne demande pas | 16 en mathématiques. Tu peux vraiment mieux faire et viser le 20 ! | Mon manager ne m’a pas remercié(e) pour mon investissement. Ce n’est pas grave et il a raison. Je peux m’investir davantage ! |
N’accepte pas | Tes parents sont là pour t’éduquer convenablement et pas pour te féliciter. L’orgueil et la vanité ne font pas partie de notre éducation. | Pourquoi mon manager m’a complimenté(e) ? C’est louche ! |
Ne refuse pas | Ton institutrice a dit que tu étais en retard sur l’apprentissage de la lecture. Tu ne travailles pas assez. Fais des efforts. | Ma collègue a dit qu’une erreur avait été commise dans la réponse à l’appel d’offres et que c’était ma faute. Cela doit être vrai. |
Ne se donne pas | Notre enfant n’a pas besoin de compliment. Il faut être fort(e) pour avancer dans la vie. | J’effectue juste mon travail donc rien de spécial. |
Au passage vous noterez que dans la colonne “Parents sur enfant” certains messages contraignants (nommés drivers) apparaissent. Encore un sujet à développer dans un prochain billet !
Des pistes pour exprimer des signes de reconnaissance
Appuyez-vous sur ces 10 pistes pour exprimer des signes de reconnaissance :
1. Appropriés
Un signe de reconnaissance doit être formulé en accord avec ce que l’on a apprécié ou non. Exemple : si on est furieux(se) parce qu’un(e) collègue est en retard à vous fournir une réponse sur un dossier, lui reprocher son manque d’investissement est inapproprié.
2. Dosés
Un signe de reconnaissance doit être proportionné au motif. Exemple : si on se pâme d’admiration parce qu’un(e) collègue a rédigé un excellent compte-rendu de réunion on perd en crédibilité et cela risque d’être perçu comme un signe de reconnaissance négatif.
3. Personnalisés
Un signe de reconnaissance s’adresse à une personne concernée, vient de vous donc utilisez le “Je”. Une formule passe-partout, même si elle fait plaisir, ne donne pas le sentiment d’être reconnu(e), d’être unique… Il faut s’engager dans ce que l’on dit.
Exemple : dire “J’ai admiré la qualité de ton argumentation durant cette négociation” touche davantage que“Tu as mené une bonne négociation”. Ainsi, l’interlocuteur sait que c’est vous qui lui donnez un signe de reconnaissance. La personnalisation peut aussi s’adresser à l’équipe.
4. Argumentés
Il est beaucoup plus efficace d’expliquer ce que l’on apprécie ou ce qui nous gêne en donnant des précisions. Dire “C’est bien”, c’est bien. Dire en quoi c’est bien, c’est mieux ! Pour une critique, cela permet à la personne de modifier ce qui ne va pas. De plus, elle est aussi informée que l’auteur(e) de la critique ne dit pas n’importe quoi mais a bien analysé les raisons de la critique, ce qui est en soi un signe de reconnaissance. Il convient donc de s’appuyer sur des faits précis et, dans le cas de signes de reconnaissance négatifs, il est important de se fonder sur des raisons objectives comme des résultats attendus, des indicateurs de qualité, des normes de sécurité… Mon conseil : évitez les mots tels que nul, rien, toujours, comme d’habitude, jamais… et restez factuel(le).
Exemple : “Les boîtes d’archives ne doivent pas être stockées sur les armoires. Tu dois les enlever ?”. Cet exemple montre qu’un signe de reconnaissance négatif, puisse, finalement, être reçu et accepté par la personne à qui il est destiné, car parfaitement ajusté et justifié.
5. Sincères
Pas de toc chez les strokes* ! Sincères et adaptés, les signes de reconnaissance jouent un rôle clé dans l’entretien de la motivation et pour l’harmonie des relations sociales. Un signe de reconnaissance positif non sincère est reçu, à juste titre, comme un signe de reconnaissance négatif. Aussi, pour donner des signes de reconnaissance, il faut commencer par regarder ce que fait la personne puis l’apprécier en fonction de critères objectifs.
Exemple : dire à la fin d’une réunion qui s’est objectivement mal passée : “Je te félicite pour tes qualités d’animateur de réunion” ne peut qu’être mal pris par l’interlocuteur. On évitera donc toute ironie ou condescendance lorsque l’on donne un signe de reconnaissance.
6. Gratuits
Pas de troc chez les strokes ! Envoyer un ou plusieurs signes de reconnaissance positifs c’est être totalement désintéressé(e) et n’attendre rien de l’autre.
7. Dosés
Envoyer quotidiennement un flot de signes positifs ne sert à rien sinon qu’à faire douter les autres lesquel(lle)s ne vont pas manquer de s’interroger : “Je sens qu’elle/il va encore nous demander quelque chose !”
8. Légitimes
Avant de donner un signe de reconnaissance (positif ou négatif), il faut se questionner sur sa légitimité à le formuler :
- Les liens hiérarchiques le permettent-ils ?
- Cela empiète-t-il sur le domaine réservé de la personne ?
Exemple : dans certains contextes culturels, il est légitime qu’un manager dise à son collaborateur :“Je vous félicite pour le travail que vous avez fourni”. En revanche, le collaborateur n’a pas à se prononcer sur le travail de son/ses manager(s). J’ai bien spécifié “dans certains contextes culturels” d’où l’importance d’analyser et de comprendre le milieu dans lequel on évolue.
9. Encourageants
“Quand les dirigeants ne disent pas aux employés qu’ils font un excellent travail, c’est comme s’ils sortaient de l’argent de leurs poches et le jetaient au feu”. Cette citation de Patrick Lencioni peut également s’appliquer aux secrétaires/assistant(e)s. N’attendez pas une baisse de moral ou une période difficile pour encourager votre/vos manager(s), vos collègues… Un nouveau projet démarre (ou simplement parce que cela fait longtemps) n’hésitez pas à les encourager pour les remobiliser, les motiver. S’intéresser aux autres, à leurs réussites, à leurs difficultés, proposer/trouver ensemble des solutions… créent du lien. Nous grandissons ensemble et, ainsi, nous entretenons la confiance.
10. Polis, courtois et chaleureux
Un aimable “Bonjour”, un engageant “S’il te plaît” ou un chaleureux “Merci” sont des indispensables pour maintenir un bon relationnel et envoient des signes positifs. Je déplore que certains managers ne saluent jamais leurs collaborateurs. “La reconnaissance du travail bien fait est une récompense souvent bien plus appréciée qu’un salaire”. Cette citation, anonyme, est tellement vraie que beaucoup devraient s’en inspirer !
Cela écrit les secrétaires/assistant(e)s sont également concerné(e)s. J’ai encore en mémoire cette remarque désenchantée d’un manager “Je me suis battu pour que mon assistante participe à cette formation alors qu’elle n’était pas concernée. J’attends encore son merci” ! L’assistante en question, surprise par ma remarque, considérait qu’il n’y avait rien d’exceptionnel à participer à une formation et trouvait son inscription normale. “La reconnaissance silencieuse ne sert à personne” et je me permets d’ajouter, à cette citation de Gladys Bronwyn Stern,qu’elle peut même aller jusqu’à nous desservir.
Zéro signe de reconnaissance !
Il y a des circonstances où l’absence de signe de reconnaissance est logique voire s’impose : la salle d’attente chez le médecin par exemple. Personne ne reconnaît personne et on indique clairement par son silence et son retrait que l’envie de communiquer est inexistante mais… la pertinence d’un agréable “Bonjour” saute aux oreilles ! (Cf. mon billet “Politesse, courtoisie, où êtes-vous ?).
“Mon manager ne répond jamais à mes sollicitations, ne me salue pas, pose ses documents sur mon bureau et repart comme si j’étais transparent(e)”. Dur à vivre n’est-ce pas ? Ne recevoir aucun signe de reconnaissance génère un malaise et un stress importantà tel point qu’on est prêt(e) à aller en chercher à n’importe quel prix, quitte à chercher des signes de reconnaissance négatifs lesquels sont plus faciles à obtenir. Je réitère ma phrase du 1er acte : tout sauf l’indifférence. Rien n’est plus néfaste et destructeur. Elle nous plonge dans des abîmes de perplexité (pourquoi moi ?) dans des océans de mal-être, nous laisse démuni(e)s et peut aller jusqu’à générer de l’anxiété voire de l’agressivité comme démontré ci-dessous.
Quels sont les risques provoqués par le manque de signe de reconnaissance ?
Je cite intégralement Jean-Jacques Titon : “Richard Erskine (petite photo) a mis en lumière que l’individu en manque de signes de reconnaissance va en venir à manipuler son entourage pour les lui “extorquer”.
La personne va, par exemple, intervenir à brûle-pourpoint, répondre à des questions adressées à un autre, gonfler les événements, parler toujours d’elle-même, répéter inutilement un récit… en d’autres termes, se faire “remarquer”.
Poussée à l’extrême, cette extorsion de signes de reconnaissance va amener la personne à quémander des signes de reconnaissance négatifs, plutôt que de ne pas en avoir du tout. Ainsi, en entreprise, un collaborateur en manque va aller chercher des signes de reconnaissance négatifs en posant des problèmes ou en créant des situations conflictuelles.
Le manque de signe de reconnaissance dans une équipe peut donc augmenter les conflits de personnes, la démotivation, le sentiment d’être “exploité(e)”, l’absentéisme, le manque de productivité et donc provoquer une baisse de l’efficacité.”
Revenons au fonctionnement du manager silencieux et indifférent : est-il comme cela avec tout le monde ou juste avec vous ? Si vous avez noté que son équipe est totalement transparente pour lui faites-lui adroitement et diplomatiquement comprendre qu’elle apprécierait quelques signes positifs de sa part. Vous le vivez chaque jour : veiller aux bonnes relations fait partie intégrante de votre fonction !
Vous êtes seulement concerné(e) : c’est une autre histoire et il vous appartient, et à vous seul(e), de comprendre ce qui motive cette indifférence. Surtout ne lui faites aucun reproche (il le vivrait très mal) et utilisez bien le “Je” : “Je suis contrariée car je ne sais pas si ce que je réalise quotidiennement vous convient. Êtes-vous satisfait de mon travail ou dois-je m’améliorer et, dans l’affirmative, sur quels points ?”.
Exprimez clairement vos besoins et identifiez les besoins de votre entourage
Procédez à une introspection approfondie, analysez vos besoins et étudiez comment vous réagissez face à ces multiples signes de reconnaissance que vous recevez ou… ne recevez pas ! La connaissance de soi est fondamentale et je n’insisterai jamais assez sur cet axe capital. Soyez au clair sur vos attentes en matière de reconnaissance et formulez, tout aussi clairement, ce que vous voulez, acceptez et refusez.
À ce sujet repérez bien la quantité de strokes négatifs que vous pouvez stocker avant “d’exploser”. Un empilement de “vacheries” dans l’inconscient n’a jamais été et ne sera jamais synonyme de bien-être et mène, dangereusement, vers une violente “déflagration”.
Observez vos managers, vos collègues… et repérez leurs besoins et leurs réactions face aux signes de reconnaissance. Les capacités de chacun(e) de savoir les demander et les accepter diffèrent. Comme précisé dans mon billet 1er acte : seule une combinaison d’essais et d’erreurs vous permettra de trouver la juste quantité pour chacun(e). J’ajoute également la juste et qualitative formulation. Là encore nos différences sont légion : les propos que l’un(e) appréciera un(e) autre n’y sera pas du tout sensible.
Multiplier et fluidifier les signes de reconnaissance au sein de l’équipe sont des facteurs clés d’accroissement et de motivation. Ils permettent non seulement de répondre à la soif de reconnaissance démontrée par Éric Berne, mais aussi de rejoindre la hiérarchisation des besoins fondamentaux des individus dans leur travail telle que décrite par Abraham Maslow dans sa célèbre pyramide. Encore un thème à développer !
Enfin pensez à vous envoyer des signes de reconnaissance positifs
Pour vous en convaincre méditez cette citation d’Arnaud Desjardins “Et l’amour de nous-mêmes, pas la vanité ou l’amour-propre, le véritable amour viendra par la reconnaissance : oh, j’ai été enfin capable de me rendre heureux”.
Vous connaissez ce proverbe “On n’est jamais si bien servi que par soi-même” dont l’origine revient à Charles-Guillaume Étienne alors félicitez-vous quand la fierté du devoir accompli pointe son agréable museau ou quand vous avez réussi. Encouragez-vous quand une tâche complexe se présente. Votre raisonnement vous amènera à résonner agréablement et positivement : il n’y a pas de mal à se faire du bien et la joie vous envahira ! “La joie est un signe de générosité. Lorsque vous êtes plein de joie, vous allez plus vite et vous voulez faire du bien à tout le monde” Mère Teresa.
Pour que vous puissiez allez plus loin, plus haut et plus fort je vous suggère
- De lire “Le conte chaud et doux des chaudoudoux” écrit par Claude Steiner. C’est un livre pour enfants qui plaît aussi aux adultes. Il traite de l’art d’être heureux et de rendre les autres heureux, de la joie de donner et de recevoir.
- De visionner cette pastille hilarante sur les croyances abordées dans mon 2ème acte [lien]. “Et tout le monde s’en fout” est une web-série diffusée en ligne depuis le 23 janvier 2017. Créée par Fabrice de Boni et Axel Lattuada ils ont été rejoints dès le deuxième épisode par Marc de Boni.
- D’écouter Fabrice Luchini sur “L’autre et la connaissance de soi”. Il cite Nietzsche, Deleuze, Spinoza, Levinas, Claudel et Simone Veil. La courte citation de cette dernière est éblouissante et tellement juste !
Je ne pouvais pas clore ces 3 actes sans manifester ma profonde reconnaissance à Maryse Eballard, past présidente de la FFMAS. Maryse a accepté de présider la FFMAS dans des conditions que je vais qualifier de particulières et sensibles. Femme honnête et profondément humaine elle a su tenir la barque et je lui en sais infiniment gré. Merci Maryse. Cette transition de présidence de Maryse à Aurore Degoutin m’offre l’occasion de terminer ce billet sur la reconnaissance par une note humoristique. Je sais qu’Aurore est friande de bons mots et de belles paroles (Cf. mon billet Paroles, paroles, paroles !).
« On peut espérer que, lorsqu’ils seront les maîtres du monde, les insectes se souviendront avec reconnaissance que nous les avons plutôt bien nourris lors de nos pique-niques ».
Colette
Tout est dit !
Josette Dubost
Membre fondateur, expert métier FFMAS
* Strokes : coups
Pour avoir une vue d’ensemble retrouvez les billets des épisodes précédents :
[Acte 1 – Acte 2]