En juillet 2021 je publiais le billet « Quelqu’un de bien face aux pilleurs ». Cette odieuse notion de pillage est encore revenue sur le tapis en ce chaud mois de juin grâce aux témoignages de stagiaires. Elle est d’ailleurs récurrente. Excellente raison, en cette rentrée 2025, pour tirer la sonnette et vous mettre en garde sur ces voleurs d’idées !
Quelques exemples
1er exemple : Céline la novatrice
À la suite de la mutation de son époux en province, Céline venait d’être recrutée à un poste de secrétaire administrative dans une PME de 237 salariés.
La fonction proposée par le directeur administratif et financier (DAF) la faisait chuter de niveau mais, après avoir acquis une solide expérience dans une grosse agence de communication en région parisienne, elle fut très rapidement opérationnelle. En 6 mois elle démontra sa forte implication et fit évoluer son poste. Consciente que sa société vivait encore au XXe siècle et bien déterminée à la faire rouler sur les rails technologiques du XXIe, elle remit à plat et simplifia de pesants process, automatisa plusieurs dossiers dont elle avait la charge et fit appel à l’intelligence artificielle pour fluidifier l’organisation, la tenue et le suivi des multiples réunions de la direction.
Par ricochet, son directeur très satisfait, voyait son service se moderniser. Sur le temps dégagé grâce à son efficacité et sa technicité, et désireuse d’importer dans cette PME son savoir-faire acquis lors de son précédent poste, Céline élabora un cahier des charges sur un projet de mise en place d’un Intranet spécifique pour faciliter l’accès aux informations communes du personnel de l’entreprise. Elle présenta, en toute confiance, le projet à son supérieur lors d’un face à face hebdomadaire.
Outre un riche contenu technique, ce cahier des charges affichait un budget, un échéancier de mise en œuvre et de performants livrables. Étoffés par un argumentaire étayé sur les gains potentiels pour les salariés tels que : temps gagné, efficacité accrue, communication interne fluidifiée, éco-responsabilité déployée… Céline avait même dégagé les freins relatifs aux attitudes et aux comportements et suggéré une formation sur “l’adaptation au changement”.
Bizarrement, le DAF eut soudain une réaction assez mitigée face à cette proposition d’évolution positive et promit de prendre connaissance du dossier dans les jours à venir sans faire plus de commentaires.
Quinze jours après, Céline demanda à son responsable s’il avait jugé le projet intéressant. Il eut une attitude encore plus tiède que la première fois et prétexta un manque de temps. Un mois après, Céline redemanda des nouvelles et se heurta à un mur. Le DAF, agacé, la renvoya à ses tâches basiques prétextant que ce n’était pas une priorité.
Le mois suivant elle lut dans le rapport mensuel de la direction générale que la décision avait été prise de lancer, sur proposition du DAF, un intranet dédié ! Outrée, Céline vit circuler dans l’entreprise “son cahier des charges” et apprit, quelques temps après, que son responsable avait reçu des félicitations pour son approche novatrice, facilitatrice et clairvoyante !
2ème exemple : Véronique l’investie
Véronique, une autre assistante vécu aussi le même genre de désillusion ! Elle s’acquittait quotidiennement de ses missions avec beaucoup de professionnalisme, d’autonomie, de curiosité et d’engagement.
Convaincue que les secrétaires/assistantes devaient, comme les autres métiers de l’entreprise, développer leurs compétences, elle pensa à un projet transversal pour dynamiser ces fonctions administratives au sein de l’entreprise à savoir : développer un réseau interne par un intranet métier mettant en commun outils, procédures, bonnes pratiques, trucs et astuces… Elle proposa de lancer et conduire le projet, rédigea un cahier des charges et faisait valider oralement (grave erreur !) chacune de ses actions par son manager très enthousiaste.
Véronique fut imprudente, montra trop son ardeur et sa motivation et n’assura pas ses arrières pour protéger son “bébé”… 3 mois plus tard, par des manœuvres peu scrupuleuses allant jusqu’à l’intimidation lui faisant comprendre qu’elle devait “rester à sa place”, elle fut mise à l’écart du projet lequel fit l’objet d’une appropriation en bonne et due forme par son manager ! Il s’en servit pour démontrer son “exceptionnelle hauteur de vue” sur l’apport des métiers administratifs !
3ème exemple : Shamia la visionnaire
Troisième exemple le cas de Shamia, assistante très autonome et expérimentée. Son manager, récemment embauché, ne cessait de l’interroger sur le fonctionnement, les procédures, les outils… Ses réponses, argumentées et visant la simplification, amenaient ce manager à l’encourager dans des actions de réorganisation administrative du service. Petit à petit elle montait ses dossiers, étayait ses recherches, bâtissait l’avenir et fourmillait d’idées.
Son manager la stimulait, la flattait, “s’émerveillait” devant son investissement et la valorisait par de belles paroles. Shamia était aux anges et s’impliquait, à grand coup d’heures supplémentaires (non rémunérées !) pour mettre en forme le fruit de ses réflexions. Passionnée par ce défi, Shamia était désireuse de prouver combien une assistante motivée et déterminée pouvait être à la hauteur des légitimes exigences managériales.
Depuis longtemps dans la structure, elle en maîtrisait chaque paramètre et savait quelle voie prendre. Ses objectifs de réorganisation étaient lumineux. De plus, ce projet lui tenait à cœur pour valoriser le travail des autres assistantes et secrétaires. Après 2 mois d’un labeur acharné Shamia fut prête. Son dossier complet de réorganisation était bouclé, complet, clair et précis. Elle prit rendez-vous avec son manager pour le lui présenter. Deux heures après Shamia, “flottant sur un nuage rose”, sortait fièrement du bureau de son supérieur “auréolée” de ses nombreux compliments.
Quelques jours plus tard, elle pris connaissance de l’ordre du jour du prochain CoDir(1) lequel mentionnait : “Projet de réorganisation des processus administratifs” et vit son manager partir avec SON dossier ! Elle apprit qu’elle ne fut jamais citée, qu’il avait reçu de véritables louanges pour ses propositions et fut encouragé à poursuivre de telles initiatives.
La raison de ce billet, que je qualifie de d’“humeur massacrante”, vous a bien évidemment sauté aux yeux :
Leurs droits d’auteures ont été bafoués
et leurs investissements ont été piétinés.
Ces individus ont purement et simplement volé un travail effectué par d’autres ! Chacun, à leur manière, se sont fait “mousser” sans même citer leurs assistantes (des témoins ont parlé !). Ils ont pillé, sans vergogne, la production de leurs collaboratrices, les laissant complètement désemparées, anéanties et impuissantes. Ils ont recueilli, avec “modestie”, les satisfécits de leurs directions générales respectives, lesquelles les ont chaleureusement félicités pour l’investissement dont ils avaient fait preuve… allant même jusqu’à dire qu’“ils étaient épatés par leur clairvoyance, leur vision moderne des organisations, leur capacité à anticiper le futur et leur rapidité de compréhension de problématiques très anciennes” pour le dernier dont il est question dans ce billet !
Véritable fléau ce pillage des idées dans nos entreprises !
Céline et Shamia, totalement dépitées et écœurées, ont demandé des explications à leurs managers lesquels ont rétorqué qu’ “il s’agissait d’un projet collectif et qu’il ne fallait pas mettre en péril l’esprit d’équipe” ! Elles n’ont rien répondu et sont reparties, anéanties, vers leurs bureaux. Elles n’ont jamais eu de retour sur investissement : pas de valorisation de carrière, pas de prime, pas d’augmentation… RIEN ! Leurs identités n’ont même pas été citées ! Un vide sidéral et sidérant. Véronique n’a rien demandé. Le ravageur silence fut son choix mais, tout comme Céline et Shamia, elle choisit d’aller vers d’autres horizons professionnels et ne fit plus jamais l’imprudence de “s’investir à fond perdu” !
Vous êtes-vous reconnue ? Dans l’affirmative sachez que je suis de tout cœur avec vous mais le mal est fait et j’en suis profondément désolée. Cela écrit cette sordide expérience vous a servi de leçon ! On apprend toujours de ses erreurs et elles nous font grandir n’est-ce pas ?
Pour les autres je vous recommande la plus grande prudence. La défiance n’est pas un vilain défaut. En revanche le manque de clairvoyance et la naïveté le sont ! Ne vous laissez pas berner par les belles paroles de ces Kaa(2) surdiplômés en costumes – ou en robes – bien sous tous rapports ! La vigilance doit être de mise dès le lancement d’une action. Assurez vos arrières. Informez le maximum de personnes – surtout celles de la DG – que vous réfléchissez à un projet. Ne donnez pas de détails et restez très évasive même si “l’on” vous en demande avec insistance.
Enfin, réclamez, voire exigez une lettre de mission. Elle vous permettra de ne pas être prise au dépourvu et de protéger votre production ! Je me doute que le verbe exiger doit vous heurter. J’en suis bien consciente mais si vous la demandez très courtoisement, très gentiment, avec beaucoup de douceur et de diplomatie je parie que la majorité d’entre vous ne l’obtiendra pas ! Mon conseil : arrivez avec une lettre de mission déjà remplie. Vous la soumettrez à la fin de votre entretien de présentation et le manager n’aura plus qu’à apposer son indispensable paraphe ! S’il refuse de la signer ne laissez aucun document ! Je sais… vous vous dites certainement que je suis suspicieuse et vous avez raison mais… ce n’est pas à la “vieille guenon” que je suis que l’on apprend à faire des grimaces !
Je répète souvent à mes stagiaires une phrase qui les surprend voire les déstabilise :
“Professionnellement n’ayez confiance que dans une seule personne, VOUS. Nous sommes toutes et tous, sans exception, faillibles. Nous sommes toutes et tous sujets à commettre des erreurs. La personne la mieux intentionnée au monde peut oublier, se tromper, mélanger des datas, ne pas être informée, ne pas comprendre… Alors… imaginez celles dont les desseins sont inavouables, celles dont l’arrogance est la posture naturelle et celles dont l’hubris est la manifestation extrême de leurs égos ! Vous allez vous faire piéger, piétiner et en serez meurtries à tout jamais”.
Je m’appuie sur les multiples témoignages de mes stagiaires qui se sont fait berner et tiens ces propos depuis de nombreuses années.
Je prône énergiquement l’investissement professionnel dans tous mes billets mais, de grâce, ne jouez pas le rôle de l’oie blanche qui gobe tout ! Les pilleurs existent dans tous les domaines et partout aussi tous vos sens doivent être en alerte. Soyez déterminée. Osez parler. Osez vous affirmer, courtoisement bien entendu, et restez toujours très factuelle. Tout ce que vous dites doit pouvoir être prouvé voire chiffré. Chassez tout affect de votre esprit, cela vous dessert et vous fait plus de mal que de bien.
3 femmes, Céline, Véronique et Shamia, ont subi un plagiat. Peu, voire inexistants sont les hommes qui subissent ce genre de déconvenue : ils sont rarement dans le pathos quand ils travaillent. Raison pour laquelle ce billet est féminisé.
Plagier selon l’Université de Genève, c’est :
- S’approprier le travail de quelqu’un d’autre et le présenter comme sien.
- Inclure dans son propre travail des extraits de textes sans en mentionner l’auteur original.
- Modifier le texte d’un auteur en remplaçant ses mots par des synonymes.
- Reprendre l’idée originale d’un auteur et l’exprimer avec ses propres mots (reformulation), sans en mentionner la source.
- Insérer des images, des graphiques ou autres sans en mentionner la provenance.
Et le droit d’auteur ?
Pour aller plus loin voici la définition du droit d’auteur d’après le ministère de l’Éducation nationale :
“Le droit d’auteur protège toute création intellectuelle de l’homme (on parle d’œuvre de l’esprit). Dès l’instant qu’une création de l’esprit naît et qu’elle est considérée comme originale, quelle qu’en soit sa forme, son mérite, sa destination et son genre, elle se trouve protégée par un droit de propriété incorporelle. Il faut qu’il s’agisse d’une création au sens concret de ce mot. En d’autres termes, il faut qu’il y ait une mise en forme pour faire naître la protection.”
Quelques caractéristiques :
Le droit d’auteur est donc un droit :
- qui accorde à l’auteur la propriété intellectuelle de son travail,
- qui réfère non pas à l’idée comme telle, mais à l’expression de cette idée, qu’elle soit mise en mots, en sons, en images, etc.
- qui assure à l’auteur l’intégrité de son œuvre,
- qui vise à protéger l’auteur en lui permettant de recueillir les bénéfices économiques de son travail,
- qui vise à permettre à l’auteur d’avoir un certain contrôle sur l’utilisation qu’on fait de son œuvre.
Le droit d’auteur limite donc la possibilité :
- de reproduire (exemple par photocopie)
- d’extraire de larges extraits,
- de vendre,
- de publier.
Conclusion
Dans mon billet de novembre 2020 relatif aux droits et aux devoirs de chacun, je citais Auguste Comte : “Nul ne possède d’autre droit que celui de toujours faire son devoir” ainsi que Friedrich Nietzsche “Nos devoirs ce sont les droits que les autres ont sur nous”. Pour ce billet j’y ajoute Ménandre : “L’honnêteté est au-dessus des lois mêmes”.
Le devoir d’un manager c’est la solidarité envers son équipe. C’est posséder un esprit de conscience et être une personne honnête. C’est offrir une présence rassurante et vraie. C’est faire grandir ses troupes en “mouillant sa chemise” et monter au créneau pour la défendre et la valoriser. Enfin, l’autre devoir qu’est le respect implique de “rendre à Céline, à Véronique et à Shamia ce qui leur appartient” !
Je note que les 3 assistantes citées n’ont pas su faire valoir deux droits fondamentaux : expression et auteure ! Renseignements pris : elles n’ont pas osé manifester leur désapprobation par… peur ! Cette peur envahissante pourrait d’ailleurs faire l’objet d’un prochain billet ! Il y a tant à dire et à écrire sur ce sujet ! Véronique a admis avoir été totalement tétanisée devant cette injustice. Toutes trois ont choisi de démissionner et m’ont avoué qu’elles n’avaient pas digéré cet épisode toujours en travers de leurs gorges ! Opter pour le silence s’avère être nuisible : la venimeuse rancœur sévit toujours au fond de leurs cœurs ! Cette rancœur est une véritable et dangereuse lame de fond. Un jour… elle remontera à la surface et sera dévastatrice !
Elles avaient oublié deux de leurs devoirs : alerte et respect ! Se faire délester de son travail sans broncher et sans défendre ses droits c’est ne pas respecter son travail et, par voie de conséquence, ne pas se faire respecter ! Céline, Véronique et Shamia l’ont d’ailleurs reconnu ! Être honnête avec soi-même c’est savoir ce que l’on veut, ce que l’on ne veut pas et le faire savoir car :
“L’honnêteté n’est pas un habit des dimanches, mais un vêtement de tous les jours.”
Tristan Bernard
Tout est dit !
Josette Dubost
Membre fondateur, expert métier FFMAS
(1) Un Comité de Direction (ou CoDir) est, au sein d’une organisation ou d’une entreprise, un groupe généralement restreint de personnes, formant un ensemble constitué, investi d’un pouvoir de surveillance et de décision, assurant la direction d’une entreprise sous les ordres du directeur général. Source Wikipédia.
(2) Kaa est le serpent python qui hypnotise Mowgli par sa chanson “Aie confiance” dans Le livre de la jungle de Rudyard Kipling.