« Chaque triangle a un gain pour ceux qui le jouent. L’antithèse d’un triangle dramatique est de découvrir comment priver les acteurs de leurs gains ». Je commence donc mon billet de juillet par cette citation venue terminer celui du joli mois de mai.
Cette phrase de Luc Taesch, pleine de sagesse et d’humour subtil, présente le Triangle dramatique comme un jeu de société où chaque joueur espère remporter la partie. Elle m’offre ainsi l’occasion de la développer avec un brin de philosophie et une pincée de légèreté comme un bon café matinal (ou un bon thé si vous préférez) et de conclure ce chapitre du Triangle dramatique de Stephen Karpman.
La clé, selon L. Taesch, c’est que ces gains existent pour tous ceux qui acceptent d’entrer dans cette partie et vont jouer un rôle. Ces rôles, bien que souvent inconscients, nous apportent donc des gains cachés, des satisfactions secrètes qui nourrissent notre ego et structurent nos relations.
- Le persécuteur discerne dans sa domination une affirmation de son pouvoir, une illusion de contrôle sur un monde chaotique.
- Le sauveur puise dans son altruisme une reconnaissance, une validation de sa propre valeur.
- La victime trouve sa satisfaction dans une forme d’attention, une confirmation de son existence aux yeux des autres.
Mais cette danse est-elle vraiment bénéfique ? Ne sommes-nous pas, en réalité, prisonnières et prisonniers de ces rôles qui nous empêchent de grandir en maturité et de nous épanouir pleinement ? Luc Taesch nous invite à une réflexion profonde : décidons de briser ce Triangle vicieux et de priver les acteurs de leurs gains illusoires.
Cela nécessite un acte de courage, une prise de conscience de nos propres mécanismes internes. Il s’agit de reconnaître nos besoins profonds, de les transcender pour accéder à une forme de liberté authentique. Imaginez un monde où chacun.e serait conscient.e de ses propres motivations, où les interactions seraient basées sur le respect mutuel et la compréhension ! C’est là que réside la véritable antithèse du triangle dramatique : dans la capacité de chacun à se libérer de ses chaînes, à embrasser sa propre vérité, et à construire des relations fondées sur la bienveillance et la sagesse. C’est une idée intéressante n’est-ce pas ? Alors refusez de jouer un jeu, sortez du Triangle, ouvrez la porte à des relations plus saines, plus équilibrées et posez-vous la question : comment puis-je, dès aujourd’hui, commencer à priver les acteurs de leurs gains illusoires pour enfin vivre pleinement, librement et en harmonie avec moi-même et les autres ?
Gains pour trois acteurs
Prenons un exemple : imaginons un.e assistant.e qui, entre deux tâches, reçoit une demande urgente d’un supérieur mais se retrouve confronté.e à la pression d’une collègue qui, elle aussi, a un impératif besoin de son aide. Ce Triangle se constitue donc de l’assistant.e, du supérieur et de la collègue.
- L’assistant.e tire un gain de cette situation : elle prouve son efficacité, son aptitude à jongler avec plusieurs demandes, et peut, de ce fait, renforcer sa position dans l’entreprise.
- Le supérieur obtient ce qu’il veut : une tâche exécutée dans les temps et dans sa perception : il a gagné par la réactivité et la compétence de son employée.
- La collègue elle, peut se sentir soutenue, obtenir l’aide dont elle a besoin pour ses propres tâches et se sentira légitimée par la bienveillance de l’assistant.e.
Il y a bien gains pour chacun des acteurs mais poursuivons cet exemple :
- Comme la vie professionnelle est loin d’être un long fleuve tranquille l’assistant.e commence à se sentir débordé.e. Non seulement elle/il doit jongler avec ses tâches habituelles, mais elle/il commence à être coincé.e entre des demandes contradictoires et des attentes irréalistes. Son gain ? Moins évident, voire inexistant ! Elle/il pourrait même avoir l’impression de perdre le contrôle de ses tâches et de son rôle.
- Le supérieur se retrouve dans une situation où il attend toujours plus, mais ne reconnaît pas suffisamment l’effort de l’assistant.e. Résultat, il n’apprécie pas le travail fourni et la seule chose qu’il gagne, c’est une insatisfaction croissante, même s’il n’en est pas toujours conscient.
- La collègue, quant à elle, peut éprouver un sentiment de culpabilité en se demandant si elle est vraiment utile à l’assistant.e ou si elle ajoute encore plus de poids à ses épaules.
Dans cette seconde configuration, chacun perd : l’assistant.e ne gagne pas la reconnaissance, le supérieur ne voit pas les efforts fournis et la collègue pourrait même se sentir gênée de déranger. Bref, ce jeu est un parfait exemple du Triangle dramatique où les acteurs sont pris dans un tourbillon de frustrations et de malentendus, sans véritable gain pour personne.
Allons encore plus loin :
Ce qui est fascinant c’est que l’assistant.e peut trouver un certain amusement à jongler avec tous ces Triangles de demandes, en mode « Je vais prouver que je peux y arriver. C’est moi contre le monde et je vais gagner« . La situation devient une sorte de jeu de société où elle/il essaie de tirer profit tout en évitant de tomber dans les pièges tendus par les autres. C’est un jeu dangereux et le risque d’y laisser tout son plumage est bien présent !
Le Triangle peut également prendre la forme d’une comédie absurde. Si l’assistant.e, par exemple, réussit à manipuler habilement les attentes et à faire en sorte que tous les acteurs pensent qu’ils sont satisfaits, elle/il devient un peu comme un.e chef d’orchestre de cette danse chaotique. Un peu comme un chat qui fait semblant de ne pas être intéressé par une balle en mousse, mais qui, en réalité, contrôle chaque mouvement de façon experte. Que d’énergie et de temps perdus ! La crise la guette et le burn-out pointe son horrible face.
Mon petit truc
Dans mon précédent billet de mai j’attirais votre attention sur la flèche pour signifier que je refusais catégoriquement d’entrer dans ce Triangle infernal. Je reconnais bien volontiers ne pas posséder la légitimité scientifique de S. Karpman mais ma longue carrière m’a offert un tremplin d’observations dont je vous fais part : nous côtoyons quotidiennement 3 types d’individus : le stable, l’abusif et le rétracté.
- Le qualificatif stable est lumineux mais je tiens à clarifier ma pensée avec 3 autres adjectifs : solide, sain et sage. Cette “bande des 4 S” actionne l’objectivité, la coopération, la confiance, la disponibilité, l’équilibre, la compréhension et l’ouverture aux autres. L’individu stable est bien présent, ancré, sûr de lui et on le remarque. Il sait se taire quand nécessité fait loi, sait argumenter et exprimer son point de vue si besoin est. La personne stable se considère comme quelqu’un de bien et regarde les autres de la même façon. Cela revient à dire qu’elle est + et que les autres, à ses yeux, le sont également*.
- Saute subite d’humeur, invective outrancière, crise de colère destructrice, ironie mordante, coup bas, réflexion malvenue, sous-entendu dévastateur, toxicité dans les relations interpersonnelles, silence exterminateur, dérision acharnée, hypocrisie ravageuse… Vous avez reconnu l’abusif. Je tiens à préciser un point essentiel : l’abusif n’est pas obligatoirement désagréable. Il peut même être l’inverse pour attirer les bonnes grâces des autres et les maintenir dans ses filets. Son côté mielleux et fourbe font tomber ses interlocuteurs, non avertis, dans ce piège bien tendu et parfaitement huilé. Hâtez-vous de l’identifier et… fuyez-le !
- Le rétracté n’ose pas, ne demande rien, subit, ne prend jamais la parole, ne donne pas son avis et reste très flou même quand on lui demande Effectue son travail consciencieusement mais disparaît, au profit des autres, sans laisser de trace. Se rendre invisible est son dessein et son destin. À noter que j’ai rencontré, tout au long de ma carrière, des abusifs qui jouaient, à la perfection, le rôle de rétractés. La sournoiserie fait malheureusement partie de notre monde ! Là encore sondez méticuleusement le terrain avant de vous y aventurer !
Donc… N’attrapez pas le triangle lancé par l’autre
Attraper une balle au bond n’est déjà pas simple. Nous ne sommes pas Rafael Nadal ! Alors imaginez attraper un triangle ! Risquer de se blesser avec l’une des trois pointes est bien réel !
J’affirme, péremptoire, qu’entrer dans le jeu sordide de l’abusif c’est aller au clash et rompre brutalement la relation. Forcer voire rudoyer (même gentiment et courtoisement) un vrai rétracté peut l’amener à sombrer. Quant au faux rétracté, il vous accusera de violences.
Soyez stable et donnez une image rationnelle de vous. De gros profits seront générés, les tensions seront apaisés, le stress diminuera et la productivité augmentera. Les rires et la bonne humeur au bureau gouverneront. Personne ne perdra et tout le monde gagnera : les gains seront ainsi partagés. De plus j’ai fréquemment remarqué que les personnes avec une forte stabilité émotionnelle faisaient fuir les dangereux abusifs et les faux rétractés. En revanche les vrais rétractés viennent, petit à petit, vers la personne stable qu’ils considèrent comme un “dé à coudre” : elle va les protéger et leur ouvrir les portes du bien-être (référence à la série Astrid et Raphaëlle diffusée sur France 2).
En somme, la philosophie de Luc Taesch nous rappelle que pour que le jeu de la vie professionnelle soit harmonieux, il faut que chacun ait quelque chose à gagner. Priver les acteurs de leurs gains, c’est comme jouer à un jeu où tout le monde perd, et personne ne veut ça, n’est-ce pas ? C’est une invitation à se défaire de l’illusion que notre valeur réside dans la résolution de chaque drame, dans la prise en charge de chaque plainte, ou dans la soumission à chaque autorité abusive.
Dépistez les virus et cherchez l’équilibre subtil : ni trop de gains pour les transformer en fardeaux, ni trop de pertes qui deviendront des frustrations permanentes. Votre calme, votre discernement et votre capacité à maintenir un cap éthique transformera un espace de dramaturgie en un lieu de collaboration authentique. Cultivez la générosité, la reconnaissance et le partage des gains, pour que ces maudits triangles disparaissent et se transforment en une grandiose pyramide de succès partagés !
Conclusion
C’est une noble quête que de transformer le théâtre quotidien en une scène d’épanouissement mutuel alors… les stables… restez groupés !
“Groupés, serrés les uns contre les autres, les livres ont la stabilité et la persévérance des menhirs.”
Bernard Pivolt
Tout est dit !
Josette Dubost
Membre fondateur, expert métier FFMAS
* Par ce double ++ je me rends compte que je viens d’aborder les positions de vie. Cela fera l’objet d’un futur billet !