Une fois n’est pas coutume ! J’ai choisi, pour démarrer cette année 2024, de m’adresser aux managers voire plus haut, beaucoup plus haut !
Dans les années 1990 j’avais créé, pour un grand groupe français de renommée mondiale, un riche parcours qualifiant dédié aux secrétaires/assistantes. Durant ses 4 années d’existence ce parcours a fonctionné au-delà de mes espérances et a remporté un vif succès. Les participantes, enchantées, naviguaient sur l’excellence à la grande satisfaction de leurs managers lesquels leur apportaient leur indéfectible soutien. Tout était sous contrôle et j’étais heureuse et fière de contribuer, même modestement, au rayonnement de cette grande maison.
Ce matin-là je m’apprêtais à entrer dans ma salle de formation et ai vu arriver l’assistante du DRH : “Monsieur X souhaiterait vous voir pendant votre pause matinale Josette”. Convaincue que j’allais être noyée sous une pluie de compliments et recueillir les lauriers de mon labeur j’arpentais, toute guillerette, les couloirs de l’entreprise.
Fort aimable mais imperceptiblement gêné, ce DRH m’a expliqué qu’il était “très satisfait de mes services, que mon engagement avait eu des répercussions très positives, que la société me remerciait, que j’étais une formatrice incomparable, que…”. Une quantité vertigineuse de pommade, de brossage de pompes et de pipeau a surgi pour finir par un implacable coup de grâce : “les secrétaires/assistantes partant en retraite ne seront pas remplacées. L’embauche du personnel administratif est gelée. Des outils bureautiques spécifiques vont être mis en place pour faciliter la vie des managers…” et le couperet est tombé : “Ce parcours dédié s’arrête et le stage que vous animez sera le dernier”.
Le sol s’effondrait sous mes pieds ! Stupéfaite et déstabilisée, je voguais sur une mer d’incompréhension. Ma vision du métier était poignardée aussi ai-je lancé “Merci pour tous vos compliments qui me touchent mais je m’autorise un commentaire monsieur. Cette décision est contreproductive et va à l’encontre des finalités visées. Les managers ont autre chose à faire. Ce n’est pas leur cœur de métier et ils ne sont pas payés pour gérer l’administratif”. L’amabilité de ce DRH a subitement disparu “Nous n’avons pas besoin de votre avis et la Direction générale sait ce qu’elle a à faire. Vous pouvez repartir animer votre stage”.
J’étais effondrée : tout cet engagement pour aboutir à l’anéantissement des efforts fournis par ces secrétaires/assistantes et aussi par ces managers qui avaient joué le jeu. J’ai informé mon groupe de stagiaires et, si je ferme les yeux, je les revois toutes : des femmes dynamiques, investies et soucieuses du bien-être managérial et de la réputation de leur grande société. Tout comme moi, elles étaient anéanties et ne comprenaient pas cette aberrante décision.
Cinq ans plus tard, le nouveau DRH du même groupe m’a contactée ! Je l’ai informé de mon dernier entretien, très mal vécu, avec son prédécesseur. “Je sais, j’ai lu votre dossier et mené mon enquête. Il voulait promouvoir les outils bureautiques pour baisser la masse salariale. Comme vous l’aviez signalé c’était contreproductif et il a été remercié. Les managers ont tous refusé d’accomplir les tâches administratives aussi elles ont été sous-traitées mais cela ne leur convenait pas. Nous avons donc réembauché du personnel et avons besoin de vous pour réactiver les parcours dédiés”. J’ai accepté, ai multiplié mon prix journée par deux et suis ré-intervenue pendant 10 ans !
“Et alors ! Pourquoi nous raconter cette histoire ?” devez-vous pensez. Pour deux raisons : parce que, 30 ans après, le discours que je tenais à l’époque est d’une brûlante actualité, que n’a rien changé voire s’est dégradé et que cela me désespère.
Enfin parce que beaucoup de structures privées et étatiques dédaignent voire méprisent la réelle valeur ajoutée qu’apporte ce personnel administratif. Je peux comprendre que des coupes budgétaires soient effectuées mais pas au détriment de la qualité, de la productivité et du bien-être des salarié(e)s. Il faudrait quand même que ces beaux messieurs et ces belles dames, perché(e)s au sommet de leurs pyramides, baissent les yeux vers ces employé(e)s, regardent attentivement tout le travail fourni, réalisent que ces indispensables métiers sont au cœur des organisations et que, sans eux, l’huile coule moins bien dans les rouages voire ne coule plus du tout !
Je m’autorise à citer le CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) pour lequel j’ai la plus profonde admiration et le plus grand respect. En effet, il a fait la une des médias, en ce mois de décembre 2023, via l’un de ses brillants chercheurs Pierre Rochette (en photo). Recruté en 1985 et pointure dans son domaine d’expertise (géologue et physicien, professeur à Aix-Marseille Université) il a rendu, en pli recommandé à la direction, sa médaille d’argent récoltée en 2006 pour ses travaux sur le magnétisme des roches.
Pourquoi rendre sa médaille laquelle, je le cite, “m’inspire du dégoût” selon la tribune choc parue dans le Monde le 4 décembre 2023 ?
- Parce qu’il en a ras le bol et que trop c’est trop,
- Parce qu’il est désenchanté,
- Parce que l’administratif lui bouffe tout son temps,
- Parce que trois logiciels nommés “un calvaire indescriptible”, ne remplaceront jamais des êtres humains doués de bon sens,
- Parce que tout acte est de plus en plus pesant chaque année et que la viscosité du système le paralyse,
- Parce qu’il est passé de la fonction de chercheur à celle de remplisseur de formulaires,
- Parce qu’il se sent maltraité par une bureaucratie insensée qui a gagné tous les rouages,
- Parce qu’en raison d’un juridisme pointilleux et d’une inflation paperassière il ne peut plus avoir accès aux crédits pourtant bien présents,
- Parce que des contrats et des projets trébuchent en raison du chaos administratif qui les mettent hors délai,
- Parce qu’il n’a plus de temps pour se consacrer à ses recherches,
- Et de conclure “Foutez-nous la paix et laissez-nous travailler”.
Si Pierre Rochette était le seul à se plaindre on pourrait légitimement penser qu’il “pète les plombs” ! Loin d’être isolé Pierre : deux pétitions circulent, signées par plus de 3 700 chercheurs, dénonçant la déconnexion entre l’administration et les pratiques de recherche.
Malheureusement ces chercheurs ne sont pas les seuls à se plaindre. J’entends çà et là, des critiques acerbes mais justifiées quant aux lourdeurs administratives formulées par des managers issus de structures étatiques et privées. Je sais, pour l’avoir expérimenté et pour le vivre via mes stagiaires que les secrétaires/assistant(e)s/office managers… sont de mon avis et qu’ils/elles œuvrent quotidiennement pour viser les allégements. Je les félicite et les soutiens farouchement car… il en faut de la ténacité et du courage pour convaincre un manager nommé “pas de vague” fossilisé dans son bureau ! Osez cher personnel administratif et ne baissez pas les bras “L’obstination est le chemin de la réussite” Charlie Chaplin.
La France est atteinte de la fièvre administrative. Les Français(es) sont malades et cherchent désespérément un remède. La France adore réglementer, instaurer de nouvelles procédures, complexifier l’existant, légiférer sur ceci ou cela… C’est un labyrinthe sans issue dans lequel les Français(es) se perdent, s’usent, vocifèrent, se découragent, se lamentent et baissent les bras.
À cet égard le professeur Pierre-Henri Tavoillot a signalé, sur LCI le 6 décembre 2023 dans l’émission “24 h Pujadas”, qu’il fallait « 68 jours full time », donc 1 632 heures pour lire le droit français hors jurisprudences, traités… J’ai bien écrit lire et non comprendre, apprendre et retenir ! J’en suis encore sidérée et me dit que Jacques Rouxel et Jean-Paul Couturier avait vu juste en 1968 avec cette fantasque et délirante série des Shadoks. Si je faisais partie des enthousiastes Français(es) qui s’amusaient de voir les Shadoks pomper inutilement, j’étais loin d’imaginer que nous allions subir ces divagations et patauger dedans 55 ans plus tard !
Pour mes compatriotes je n’ai pas de solution miracle sauf celle de viser la simplification, l’allègement et la suppression et fais mienne cette citation de Georges Elgozy “Bureaucratie : mille-pattes à mille têtes dont ni pattes ni têtes ne fonctionnent d’une manière synchrone ; lorsqu’elles fonctionnent !”.
Consciente que je m’aventure sur un terrain trop glissant pour moi je me permets toutefois de rappeler la citation d’un certain Steve Jobs
“Décider ce qu’on ne doit plus faire est aussi important que de décider quoi faire” !
Qu’attendez-vous mesdames les grandes décideuses et messieurs les grands décideurs pour simplifier et fluidifier toute cette paperasse, y compris virtuelle, qui casse les pieds à tout le monde et à laquelle personne ne comprend plus rien ? À croire que vous n’êtes pas du tout concerné(e)s par ce fatras administratif, que Joséphine vous accompagne quotidiennement et que son célèbre claquement de doigts résout tout ! De plus l’IA, contrairement à ce que vous pensez, ne va rien simplifier et je suis prête à le parier. Une décision humaine, réfléchie et objective, sera meilleure et les fruits récoltés seront abondants et sains.
En revanche pour tous ces managers ensevelis sous une bureaucratie chronophage j’ai une suggestion à vous soumettre : nous sommes là alors embauchez un(e) secrétaire/assistant(e) de direction ou un(e) office manager digne de ce nom et rompu(e) à tout ce carcan administratif.
Parfait(e) gestionnaire du quotidien vous verrez tous vos problèmes s’envoler et votre fardeau s’alléger considérablement. Vous ne passerez plus des heures à entrer tous les justificatifs de vos déplacements dans le logiciel approprié (lequel vous a demandé 20 minutes pour savoir si c’était bien celui-là !) et les formulaires seront remplis. Vous n’aurez plus qu’à les signer, mieux… lui déléguer votre signature ! Oui oui, je l’affirme, vous pourrez lui faire confiance. Vous vous consacrerez pleinement à votre cœur de métier pour lequel vous êtes rémunérés. Enfin j’ajoute, péremptoire, qu’elle/il sera un facteur décisif de votre réussite car, soulagé(e)
vos incessants et infructueux déplacements en Absurdie cesseront immédiatement !
Si vous ne me croyez pas je vous présente la passeuse d’énergie, l’alchimiste des rencontres, la facilitatrice du quotidien, la boîte à idées, l’ange gardien qui maintient la “lumière” allumée et qui rallume les flammes quand c’est nécessaire. J’ai nommé Myriam Delesalle, executive assistant chez Microsoft.
Embauchez le clone de Myriam, de Bruno, de Sabrina, de Sandra, de Sophie, de… : vos journées seront radieuses, votre stress disparaîtra et vos nuits seront reposantes.
Au fait :
“Le génie, c’est le bon sens appliqué aux idées nouvelles”.
Madame de Staël
J’en profite pour vous souhaiter une année 2024 pleine de bon sens ! J’y ajoute une excellente santé car, sans elle, le bon sens va faire triste figure !
Josette Dubost
Membre fondateur, expert métier FFMAS
Voici les sources :
Pierre Rochette, géologue et physicien, professeur à Aix-Marseille Université, appelle, dans une tribune au « Monde », la communauté scientifique à dénoncer le fardeau de la bureaucratie qui entrave la recherche nationale :