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Le billet de Josette | Tomber de Charybde* – virus – en Scylla* – guerre –

Pour ce billet de mars j’avais en tête la grille d’analyse de fonction. La violente actualité m’a fortement perturbée aussi ai-je changé d’avis. Nous pensions être débarrassés de cette pandémie qui a dévasté le monde. Nous ne savions pas que nous allions affronter l’horreur !

Il ne s’agit pas d’entrer dans une polémique stérile et encore moins d’aller sur les terrains de la politique et des religions. La FFMAS s’enorgueillit de sa totale neutralité et je suis en parfait accord avec ce principe de base.

Alors… Comment aborder ce sujet si sensible ? Comment vous faire part de mon état d’esprit ? Comment relier ce drame au secrétariat/assistanat ? Une seule réponse : inventer une histoire. Je souhaite qu’elle vous éclaire !


Je m’appelle Irina. Je suis ukrainienne et mon prénom vient du russe Irina et du grec Irène, qui fait référence à une «femme de paix». Irène était la fille de Zeus et représentait la paix dans la mythologie grecque.

J’ai 44 ans et ai eu le bonheur d’épouser Olivier il y a 15 ans. Ce Français était en déplacement professionnel dans mon pays et, en une minute, nous sommes tombés éperdument amoureux. Nos regards aimantés parlaient pour nous deux. Olivier est resté en Ukraine et nous avons eu le bonheur de chérir 3 merveilleux enfants.

Cette rencontre s’est faite dans l’hôtel où j’étais employée administrative. Il y a 4 ans je suis devenue l’assistante du directeur, fonction dans laquelle je m’investissais passionnément il y a encore quelques jours. Grâce à la formidable mobilisation déployée par Pavlo le directeur et toute l’équipe, nous avions réussi à traverser la période Covid. Nous étions repartis sur la route de la réussite. Nous affichions complet et les projets, tous passionnants, fleurissaient. J’utilise le passé car, aujourd’hui, je ne suis plus assistante. Je ne suis plus rien ! L’hôtel où j’ai travaillé est déserté, en ruine.

J’aimais ma vie et mon métier.
J’étais heureuse et je ne le savais pas.

Avant le début de la guerre, car il faut bien la nommer même si ce mot suscite l’effroi, Olivier, informé par différentes sources, a pris la décision de rapatrier immédiatement en France nos enfants et mes quatre neveux et nièces. J’ai argumenté fermement avec mes deux sœurs qui ne voulaient pas se séparer d’eux. Elles ont cédé tellement notre conviction de les protéger était évidente et solide.

Nous sommes rassurés de les savoir en sécurité, au chaud et mangeant à leur faim. Pour des parents aimants c’est essentiel, vital car dans notre ville le chauffage est coupé, il n’y a plus d’électricité, plus d’eau, plus d’essence et la nourriture se fait rare. Le maire de la ville de ma belle-famille a pris les choses très à cœur pour que nos sept amours soient scolarisés et continuent à vivre normalement et grandir dans un pays en paix. À l’arrivée des enfants d’autres familles françaises se sont mobilisées pour alléger la tâche quotidienne de mes beaux-parents. Comment allons-nous tous les remercier ? Cette question m’obsède tout comme m’obsède l’équilibre psychologique de mes enfants et de mes neveux et nièces. Comprennent-ils notre position ? Avons-nous eu raison de leur faire subir la cruelle absence de leurs parents ?

En effet, j’ai choisi de revenir en Ukraine et Olivier m’a simplement dit «Où tu iras j’irai». Mes beaux-parents étaient désespérés de nous voir repartir. Quitter nos enfants et nos neveux et nièces a été déchirant et nos cœurs se sont broyés. Cette douleur lancinante nous ronge mais cette décision je l’ai prise et j’irai jusqu’au bout. Je n’ai pas voulu abandonner mon pays, mes parents, mes deux sœurs, leurs maris, mes amis, mon directeur, mes collègues. Savoir que les gens que j’aime auraient risqué leurs vies alors que j’étais protégée m’était insupportable et la culpabilité m’aurait dévastée. Je ne suis pas superwoman mais je ne suis pas lâche, j’ai le courage de mes convictions et je fais face quand il le faut.

J’ai fait mienne la devise de la France – Liberté – Égalité – Fraternité – et ces trois mots résonnent fortement en moi. Ils me guident, me portent, me donnent de la force et me font tenir droite. Grâce à eux je suis en paix avec ma conscience même si mon cœur saigne abondamment.

Aujourd’hui ma ville est quasiment détruite. Mon pays va être envahi et je ne comprends pas pourquoi. Qu’avons-nous fait pour vivre ce désastre ? En quoi notre démocratie était-elle dangereuse ? Beaucoup d’Ukrainiens et de Russes sont morts, vont mourir. Pourquoi ? Pour arriver à quel résultat ? Pour prouver quoi ? Hier, Olivier m’a dit «Je me demande comment Jean-Pierre aurait réagi lui qui ne mâchait pas ses mots !». Sur le moment je n’ai pas compris. Il faisait référence à un grand journaliste Jean-Pierre Pernaut disparu ce 2 mars.

En bon Français débrouillard, Olivier, aidé d’un ami, a bricolé un générateur. Cela nous permet de recharger les batteries de nos téléphones seuls fragiles liens qui nous restent avec la France. Il n’y a plus de télévision mais nous réussissons, sporadiquement, à capter Internet sur nos portables. Par le fait nous avons pris conscience de la mobilisation mondiale en faveur de ma chère Ukraine.

Dans notre grand appartement nous avons accueilli mes parents, mes sœurs, leurs époux, un collègue et deux couples d’amis. Nous sommes treize et je ne cesse de me répéter inlassablement que ce chiffre nous portera bonheur. Nous sortons pour venir en aide à tous ceux que nous croisons et nous résistons fermement, vaillamment. Nous participons tous à l’effort de guerre. Nous savons que nous risquons de mourir mais notre détermination est plus forte que notre peur. Je ne me reconnais plus : la femme de paix que j’étais est devenue une combattante acharnée. Quand mon pays sera de nouveau en paix arriverais-je à redevenir l’Irina que j’aimais tant ? Encore une question obsédante !

Chaque jour je pense à Dostoïevski «Vivre sans espoir, c’est cesser de vivre» aussi je m’accroche fermement à cette bouée nommée espoir. Lui qui était le fervent défenseur du «bon peuple russe» qu’aurait-il écrit sur «le bon peuple ukrainien» ? Olivier m’a fait écouter un sketch de Roland Magdane, humoriste français. En 1981 il avait rédigé «Le roi des fous». 2022 c’est d’une criante réalité. Si tous les «bons peuples du monde entier» étaient solidaires comme la vie serait belle !

Chaque nuit nous nous blottissons dans les bras l’un de l’autre. Nous nous remémorons les doux et précieux moments de notre vie d’avant. Devant cette horreur j’arrive à sourire quand je regarde les provisions données par ma belle-famille. Nous partageons… mais combien de temps tiendrons-nous ?

Je sais que les tournesols** refleuriront sur ma chère terre ukrainienne.

«J’ai reconnu le bonheur au bruit qu’il a fait en partant».

Jacques Prévert

«La première victime d’une guerre c’est toujours la vérité»

Rudyard Kipling

Tout est dit !

Josette Dubost
Membre fondateur, expert métier FFMAS

* Issus de la mythologie grecque, Charybde et Scylla sont deux dangers affrontés par Ulysse dans l’Odyssée d’Homère. Situés de part et d’autre d’un détroit traditionnellement identifié comme étant celui de Messine l’un était un gouffre profond, un tourbillon aspirant les navires et leur équipage, le second était un récif escarpé contre lequel se fracassaient les bateaux. L’expression «tomber de Charybde en Scylla» signifie «aller de mal en pis».

** le tournesol ukrainien est devenu un symbole de solidarité face à l’invasion