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Le billet de Josette | Je parle de quelque chose à quelqu’un

Membre d’un jury de soutenance de mémoires, ce billet m’a été inspiré par des étudiant(e)s. Je ronchonnais intérieurement car plusieurs choses « clochaient » dans leurs exposés lesquels n’étaient pas à la hauteur des attendus ! Un oral – surtout chronométré – se prépare minutieusement au même titre qu’un discours, une présentation, une conférence, un entretien d’embauche, d’évaluation… donc comme n’importe quelle prise de parole dès lors que le but est de convaincre l’auditoire. Cela se nomme la rhétorique.

Selon Larousse la rhétorique est un « Ensemble de procédés constituant l’art du bien-dire, de l’éloquence » mais la Rhétorique est avant tout un ouvrage du philosophe grec Aristote traitant de l’art oratoire il y a plus de 2 300 ans !

Je vais donc rendre à Aristote ce qui lui appartient ainsi qu’à Cicéron. Voici ce qu’il avançait environ 250 ans après Aristote :

« Prouver la vérité de ce qu’on affirme,
se concilier la bienveillance des auditeurs,
éveiller en eux toutes les émotions qui sont utiles à la cause. »

L’un des objectifs de la prise de parole en public est donc de persuader ce dernier. Selon Aristote les trois registres de la persuasion (que je nomme l’indissociable triangulaire) sont l’éthos, le logos et le pathos d’où l’image de ce billet et ces trois paramètres sont essentiels à la construction d’un discours convaincant.

JE PARLE = Éthos = L’éthique

«Je» est un argument en soi et ce postulat n’a, à mes yeux, rien de fallacieux. Quand vous vous exprimez sur un sujet parfaitement maîtrisé vous êtes dans votre zone de confort et votre crédibilité est à son plus haut niveau. Vos détracteurs restent muets et désarmés devant votre irréfutable expertise. Si quelqu’un tentait de vous contredire il serait courtoisement désavoué et rapidement renvoyé dans ses filets tant votre assurance sur le sujet est invincible. Ce fut d’ailleurs le premier point sensible : les étudiant(e)s manquaient justement d’assurance. Rarissimes sont celles et ceux très sûrs d’eux lors d’une soutenance aussi le jury l’a bien compris et accepté.

Quand j’écris ou prends la parole sur le secrétariat/assistanat mon argumentaire est fiable et ma crédibilité inattaquable. Si d’aventure il me prenait l’idée saugrenue de lancer une conférence sur la culture du topinambour ou la fabrication des rails de chemin de fer vous seriez légitimement en droit de douter, de me rabrouer et vous auriez raison : je n’y connais rien ! Mon éthos en prendrait un méchant coup et chuterait de manière vertigineuse !

Comme l’a signalé Dale Carnegie « Parler de ce dont on a mérité de parler » donc qu’est-ce qui vous rend crédible aux yeux et oreilles des autres ? La réponse est lumineuse : être une autorité sur le sujet sur lequel vous vous exprimez tout en incarnant une personne agréable, digne de respect, fiable, estimable, accessible, et… modeste (d’aucuns vont même jusqu’à utiliser vulnérable). Ce qualificatif de modeste peut sembler étrange mais j’insiste : quand on ne sait pas, on le dit ! Les « Je sais tout sur tout » sont exaspérants et ne sont plus écoutés. Quant au qualificatif vulnérable, je n’y adhère pas. Il signifie fragilité et précarité et l’exemple, ci-dessous, démontre magistralement le contraire.

Au début de notre épouvantable traversée pandémique Anne-Claude Crémieux, professeure en maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Louis de Paris et membre correspondant de l’Académie nationale de médecine avouait dignement, sur les plateaux télé, sa totale ignorance quant à certains aspects du virus alors que d’autres péroraient et étalaient leurs arrogantes certitudes. Je vous croyais tellement professeure que j’ai porté un masque dès le début. Vous n’avez rien de fragile et de précaire et votre remarquable expertise doublée de votre admirable humilité démontrent somptueusement le contraire.

Imaginons que dans un colloque Hélène Carrère d’Encausse apporte un éclairage sur la Russie, Pierre Servent expose ce qu’est une stratégie militaire et Vincent Hugeux décrive la complexité des reportages en temps de guerre (exemples en raison du terrible contexte). L’autorité, le raisonnement et l’engouement des trois sont tels, dans leurs thématiques respectives, que leurs contradicteurs seraient bien en peine ! Imaginons encore que la FFMAS demande à Fabrice Luchini de venir témoigner sur le secrétariat/assistanat lors d’un congrès dédié : je suis persuadée que nous ferions salle comble jusqu’à refuser du monde mais… serait-t-il crédible ?

Je ne doute pas un instant que sa force de persuasion doublée de sa personnalité, très haute en couleurs, nous charmeront car il est capable de subjuguer une salle à la simple lecture d’une feuille de soins (désagréable clin d’œil en raison de cette cochonnerie de virus qui s’accroche !)… Mais ! Comme l’a si bien souligné Albert Jacquard « L’important n’est pas que mon discours soit vrai mais qu’il soit sincère ».

Désolée Fabrice Luchini mais votre sincérité, vos compétences, vos connaissances et vos atouts quant au secrétariat/assistanat ne sont pas probants ! Nous ne ferons donc pas appel à vous car vous n’êtes pas digne de confiance sur ce sujet et ne serez pas respecté en tant qu’expert du thème ! En revanche si vous veniez nous captiver avec Jean de la Fontaine nous nagerions en pleine délectation et personne ne douterait de la pertinence de vos propos. Au fait… Quand venez-vous nous enchanter ? Je sais… Je fantasme !

DE QUELQUE CHOSE = Logos = La logique

Ce « quelque chose » doit définir, prouver, objecter, réfuter, défendre… pour convaincre. Le discours doit contenir des arguments rationnels, logiques, factuels, prouvés voire chiffrés. Il s’agit donc de la persuasion par le raisonnement et le message doit être très clair et percutant. Sa structuration et sa limpidité doivent immédiatement sauter aux oreilles de l’auditoire car, selon Théophraste, «Il vaut mieux se fier à un cheval sans bride qu’à un discours sans ordre».

Quand j’écrivais, en préambule, que plusieurs choses « clochaient » dans les exposés des étudiant(e)s je veux dire que leurs soutenances étaient aussi lumineuses que l’eau d’un étang la nuit, en plein brouillard, sous un violent orage ! Le jury était abreuvé, submergé, asphyxié par des tableaux, des graphiques, des chiffres, des pourcentages… lesquels, très intéressants, auraient mérité un minutieux approfondissement mais, inexorablement, les minutes s’envolaient ! Par le fait la cohérence entre chaque donnée disparaissait au profit d’un flot de phrases alambiquées. Ces étudiant(e)s savaient que le timing était très serré aussi me suis-je demandé pourquoi ils/elles passaient autant de temps à débiter, sans passion, d’une voix monocorde et à vitesse vertigineuse leurs mémoires appris par cœur ? Si la logique de leurs raisonnements et la justesse des exemples utilisés auraient pu convaincre le jury avec 2 heures supplémentaires pour chaque étudiant(e), malheureusement, ce ne fut pas le cas : nous étions complètement noyés sous les torrents de leurs insipides paroles !

Meng-Tsen nous l’a pourtant bien enseigné «La parole dont la simplicité est à la portée de tout le monde et dont le sens est profond est la meilleure».

Alors… chères assistantes, chers assistants, n’hésitez pas à restructurer les diaporamas (parfois indigestes !) de vos managers et à les persuader de faire simple et court. Une suite interminable de données n’est pas synonyme d’exaltation et une seule idée trottine dans la tête des participants : quitter au plus vite la réunion ou le séminaire ! Certes, les chiffres étayent le logos mais ils ne le remplaceront jamais. Présenter quelques chiffres c’est bien ! Les faire vivre naturellement, les faire parler humainement et leur donner du sens c’est mieux car «Les choses capitales qui ont été dites à l’humanité ont toujours été des choses simples». Charles de Gaulle.

À QUELQU’UN = Pathos = L’empathie

Ce «quelqu’un» doit être bien ciblé car le pathos est l’art de l’émotion et de la résonance nous enseigne Marc Géraud. Prendre la parole sur le secrétariat/assistanat devant des managers n’est pas discourir devant mes semblables. Mon pathos se doit donc d’être en parfaite adéquation avec ma cible. Je clarifie mon propos avec l’exemple du mot rentabilité. Si je ne l’entoure pas d’un papier cadeau approprié son écho différera d’un public à un autre et je risque fort de louper mon objectif.

Enchanter, faire vibrer, faire rêver, inquiéter, rassurer, faire rire ou pleurer… c’est tout l’art du pathos qui donne souvent l’impression au public d’avoir un intérêt personnel dans les informations fournies. Retenez que l’auditoire éprouve des passions positives favorables ou des passions négatives défavorables. Par le fait, les dispositions dans lesquelles se trouvent ceux qui écoutent vont faciliter ou entraver la persuasion. Le pathos est donc bien associé à l’émotion. Il appelle à sympathiser avec le public, à stimuler son imaginaire et à faire preuve d’empathie avec lui. Il constitue souvent le catalyseur qui le pousse à agir.

Précédemment j’écrivais « sans passion et d’une voix monocorde ». Les cordes de nos émotions ne vibraient pas du tout et leurs platitudes nous désespéraient ! Nous étions cinq jurés à nous ennuyer et, le plus triste, à ne pas nous identifier dans le discours des étudiant(e)s alors que le moment était crucial pour eux. Ces étudiant(e)s ne stimulaient pas notre imaginaire et n’éveillaient rien du tout en nous. D’entrée de jeu, nous étions pourtant dans d’excellentes dispositions et prêts à les soutenir.

Comment susciter ces dispositions chez l’auditoire ou lutter contre elles ? Je cite intégralement Marc Géraud car ce qu’il écrit est parfait et je ne ferai pas mieux :

« L’émotion, c’est ce qui fait vibrer l’auditoire et le met en mouvement. Mais pourquoi Aristote, un philosophe sérieux et porté sur les sciences, nous parle-t-il d’émotions ? En observant les hommes politiques face à de larges auditoires il constate une règle infaillible de l’art oratoire : plus le groupe qu’on veut convaincre est important, plus on doit valoriser le Pathos, quitte à le faire (parfois) au détriment du logos. Écoutez votre leader politique préféré au cours d’un meeting et vous le constaterez : le Pathos l’emporte généralement sur le Logos. Eh oui, une foule est une caisse de résonance, un grand cœur collectif qui palpite en cadence et avec lequel l’orateur doit se synchroniser.

Le Pathos doit-il être réservé aux hommes politiques ? Bien sûr que non. Tout leader digne de ce nom est amené à l’utiliser. C’est même une des caractéristiques du leadership. Et, vous le savez, le manager du 21e siècle reçoit quotidiennement l’injonction d’être un leader… Encore faut-il que les managers sachent utiliser le Pathos à bon escient. Or, dans beaucoup d’entreprises le Pathos semble à jamais délégué aux services marketing et communication. Les marketeurs vont chercher à faire rêver le maximum de clients à coup de campagnes de publicité percutantes et les communicants vont payer à prix d’or des consultants chargés de créer une «tagline» inspirante, ce slogan censé définir «l’ADN» de l’entreprise et remplir les collaborateurs de fierté. Sauf que, lorsque je demande à mes clients quelle est la tagline de leur entreprise, ils ouvrent généralement de grands yeux, m’en citent une en hésitant, avant de se reprendre «euh, non, elle a changé depuis la réorganisation, maintenant c’est… euh, qu’est-ce que c’est déjà… un truc avec Innovation, euh, non, avec… Perfection, à moins que ce ne soit… Disruption» Jusqu‘à ce qu’un d’entre eux me regarde en coin et dise tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : «Bon, peu importe, la tagline c’est du bullshit…».

Aïe ! Pauvre Pathos. On t’a délégué à des consultants. Autant dire qu’on t’a vidé de ta substance ! Car là où le Logos relie les idées, le Pathos relie les personnes. Et quoi de mieux que l’oral pour se relier à autrui ? L’ennui, c’est qu’au pays des Grandes Écoles et de Descartes le Pathos est suspect. Comme si parler avec son cœur était forcément le début d’une entreprise de manipulation collective. Du coup, de nombreux managers français sont désarmés devant ce concept. Pourtant, à condition d’être accompagné du Logos et de l’Ethos, le Pathos a toute sa place dans un discours de conviction. Les anglo-saxons ne s’y sont pas trompés qui, depuis des années, utilisent le storytelling dans leur communication.

Le storytelling consiste à raconter une histoire édifiante à son auditoire dans le but de le mettre en mouvement. Une histoire dans laquelle un héros, investi d’une mission qui le dépasse va chercher à dénouer une tension, tout en vivant mille et une péripéties. Et, dans le monde des affaires du 21e siècle, les tensions et les péripéties, ce n’est pas ce qui manque ! Il ne vous reste plus qu’à trouver le héros de votre belle histoire. Vous, votre équipe, votre projet, votre produit ? Il y a le choix. Mais attention, restez sincère pour ne pas perdre votre Ethos et cohérent pour ne pas oublier votre Logos. »

À vous de jouer

Roland Barthes liait

l’éthos à l’émetteur,
le logos au message et
le pathos au récepteur.

Les trois doivent donc être savamment dosés et être en parfaite harmonie pour rythmer les paroles, structurer le discours et toucher le cœur. C’est là, chères toutes et chers tous, que votre rôle est déterminant. En effet, certains managers, dont l’expertise fait briller l’éthos et l’accomplissement du logos est à son zénith (Hum ! Pas toujours à mon humble avis !) sont mal à l’aise et désarmés lorsqu’ils doivent prendre la parole pour convaincre. Reconnaissons qu’un nombre infime l’avoue ! La crainte d’être désavoués ou ridicules peut-être si leur pathos était découvert ! N’hésitez pas à les aider à construire une histoire, à les faire répéter lorsque le thème abordé est essentiel, à émettre des critiques constructives pour les faire avancer sur le bon chemin. En deux mots : soyez inspirant(e)s.

Quant à vous prenez vos aises et épanouissez-vous dans cette indissociable triangulaire. Vous en tirerez de larges bénéfices. Une chose est certaine la FFMAS conjugue les trois et cela m’enchante car :

«Le discours est le visage de l’âme».

Sénèque

Sans oublier que :

« La passion est l’âme de la parole ».

Fénelon

Tout est dit !

Josette Dubost
Membre fondateur, expert métier FFMAS